Le ciel par-dessus le toit, le toit par-dessus la tête,… Où il est question du ciel, de la tête et des toits, et d’un truc dessus-dessous.
Comme on me demande souvent pourquoi « le ciel par-dessus le toit », ici c’est l’occasion d’en dire un peu plus. Ce nom, il est plein de sens et pas choisi au hasard.
Le ciel est par-dessus le toit est un poème de Paul Verlaine que je vous livre ici :
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
– Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Alors, pourquoi Verlaine me direz-vous ? Parce que gamine, j’aimais Rimbaud – je ne comprenais rien mais la musique de ses mots m’embarquait avec elle. Et d’un fil à l’autre, forcément…
Pourquoi ce poème en particulier ? Il y a plein de raisons.
La musique des mots pour commencer, et encore une fois. J’aime le rythme dans ceux là, ce poème est plein de temps, plein de souffle ; si on le lit à voix haute, il engage le corps, par ce souffle-là il demande un engagement aussi bien du corps que de l’esprit.
Les instants décrits par le poète aussi, qui nous renvoient chacun à une situation vécue, comme une petite Madeleine : le ciel bleu, trop bleu, l’arbre, le bruissement dans les feuilles, la cloche d’une église au loin, le chant d’un oiseau tout à coup. Si on se laisse aller, on y est, on l’habite, son paysage. C’est plein de calme, mais ça ne l’est que par rapport à la ville au loin, dont on ne perçoit que la rumeur…
Verlaine décrit aussi tous ces rapports du proche et du lointain, à partir de quelques points de repères seulement ; si on s’y plonge, spatialement il y a beaucoup de choses, beaucoup d’espace dans ce texte, à partir de très peu de mots.
Et puis vient cette confession sans complaisance, les larmes du prostré qui n’a su se saisir du temps qui lui était donné, et les regrets une fois qu’il est trop tard…
Enfin, Verlaine, lorsqu’il écrit ce poème, est en prison. Méditation forcée pour un homme tenu à l’écart du monde, dont il ne perçoit rien de plus que ce que lui laisse voir cette petite ouverture…
Ce poème, pour moi, est rempli de tout ce qui fait sens dans mon activité. Il est plein des ingrédients qui font ma manière d’aborder le travail du paysage, mais aussi de mon rapport personnel à ‘l’activité’, voire à la vie d’une manière générale.
Concevoir des paysages, pour moi c’est travailler avec le temps, avec le vivant, avec les saisons, avec un rythme, avec le temps qui passe et sur des échelles de temps pouvant s’étaler sur des années. Je m’amuse souvent à dire aux architectes avec lesquels je travaille que, quand je choisis de planter un arbre à un endroit, il sera peut être là encore bien des années après que leur bâtiment ait été démoli-reconstruit-reconverti…
Le paysage, pour moi, c’est un travail des temps, un travail du souffle aussi, des histoires qu’on insuffle dans chaque projet…
Et puis dans ces temps, mais c’est corrélé, c’est un travail d’échelles, un travail du proche au lointain et du lointain au proche, un travail qui englobe toutes ces échelles, du détail jusqu’à la métropole ; c’est un travail du regard aussi, qui se met tour à tour à distance puis en plein cœur…
Le ‘vide’ des villes, c’est ce qui en fait le liant. Tous ces espaces vides, ces presque rien qui ne servent à rien, ceux qu’on ne regarde pas, ceux dont on supprime les budgets… Ils sont notre paysage ordinaire. Ces vides, ils sont ce qui ‘met ensemble’, qui tisse, qui connecte. Qui donne à voir aussi, qui met en scène, qui joue ; ils sont le premier plan de nos quotidiens, à chacun d’entre nous. Ces vides, ils sont donnés à tous, ils sont universellement partagés.
Et puis, il m’importe de garder toujours ce regard sévère sur moi-même, de continuer toujours à manier l’autocritique. Mais lire ce poème est aussi pour moi une belle façon de me remettre sur pieds face aux aléas inévitables, à ces moments où on est au creux de la vague… Parce que je ne veux jamais avoir à me poser la question de ce que j’ai fait de ma jeunesse, et que, contrairement à Verlaine ici, je ne me laisse pas aller à l’immobilisme.